La fille qui marchait dans le désert by Vénus Khoury-Ghata

La fille qui marchait dans le désert by Vénus Khoury-Ghata

Auteur:Vénus Khoury-Ghata [Khoury-Ghata, Vénus]
La langue: fra
Format: epub
Tags: A_Poster, Littérature Française
Éditeur: Mercure de France
Publié: 2010-04-01T22:00:00+00:00


Chapitre 18

Anne

Les mains de Mathilde, deux battoirs comparées à celles, minuscules, de Zohra. Les veines noueuses sont d’un bleu d’encre. Saint-Gilles trempait-il sa plume dans les veines de sa femme pour écrire ses pages les plus désespérées ? Un réseau de lignes parcourt les paumes de Mathilde alors que celles de Zohra s’en tiennent aux trois lignes essentielles. Celle du cœur aussi profonde qu’un sillon fraîchement labouré. Celle de la tête réduite à une esquisse pâle. Celle de la vie à fleur de peau. Deux sœurs partagent le même veuvage et le même défunt : l’aînée avec hargne, la cadette avec célérité.

« Sais-tu que Mathilde tirait les oiseaux avec un fusil à grenaille ? Je les plumais et Adam les mangeait grillés sur un feu de sarments. Petite, je croyais qu’Adam était un ogre. Devenue grande, j’ai aimé l’ogre. »

Zohra a ses croyances comme d’autres leurs maladies. À chaque mal son remède. Écrire son nom sur un papier, diluer l’encre dans l’eau et la boire d’un trait guérit en un clin d’œil.

Sa petite main gesticule. Sa main, oiseau arrêté en plein vol. Son regard parcourt la prairie plus trempée qu’hier, les berges effondrées par endroits, le fleuve plus houleux depuis la pleine lune. Un domaine acariâtre qui baigne dans une rancune sans fin. Un espace restreint mais dense en conflits et en incompatibilités. Les colères affichées de Mathilde complémentaires de la sérénité feinte de Zohra. La hargne de Mathilde complémentaire de la tolérance de Zohra. Animées par les mêmes sentiments, elles les expriment différemment. Zohra te parle avec regret du roman inachevé de Saint-Gilles, son meilleur, jamais publié, otage de Mathilde. Mathilde qui a déboulé ce matin avec un plateau de petit déjeuner, t’encourageant à manger, répétant : « Tu dois te remplumer », entre deux toasts qu’elle beurrait puis noyait sous la confiture. « Tu manges et tu te reposes, grasse matinée pour aujourd’hui, tu peux te le permettre maintenant que la clôture est à moitié redressée. Nous ferons le reste un autre jour. » Assise sur le bord de ton lit, le plateau sur ses genoux, elle te tutoyait, encore un peu et elle te donnerait la becquée.

« Tu peux te permettre une matinée au lit maintenant que nous sommes protégées par une clôture et que personne ne peut entrer sur nos terres. »

Mathilde t’a associée à son patrimoine, t’a faite son héritière avant de te renvoyer à ton statut de tâcheron :

« Relâche ce matin mais l’après-midi au boulot. Les troncs d’arbres cassés par la tempête ont grand besoin d’être débités. Il y a plus de dix stères, de quoi nous chauffer pour le reste de l’hiver. Le soir, nous ferons des feux de cheminée. Je tricoterai pendant que tu me liras à voix haute des pages de ce pauvre manuscrit qui t’attendait. Mais dis-toi que ce n’est qu’un premier jet et que tu auras la lourde tâche de le peaufiner. Saint-Gilles n’avait plus la tête à ça. Le démon de midi. J’ai beaucoup souffert. Je te raconterai un jour les vexations, les humiliations que ces deux m’ont fait subir.



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